Shadiz, l'homme au slip de cuir

Une enfance paisible

Shadiz est le dernier d’une famille de dix enfants. Son père, ancien mineur, avait réussi, après bien des sacrifices, à mettre de quelques écus de côté pour faire l’acquisition d’un lopin de terre. Bien que de piètre qualité, l’homme le cultivait avec tant d’ardeur qu’il mettait sa famille à l’abri du besoin, même si l’opulence n’était pas de mise pour autant. Plutôt rachitiques, ses fils l’aidaient comme ils le pouvaient dans ce dur labeur, tandis que ses filles assistaient leur mère qui était quant à elle toute dévolue aux tâches ménagères.



C’est dans ce milieu tout à fait modeste que Shadiz vit le jour, un beau matin de printemps, sur la table de la cuisine. Petit dernier, il eut le privilège de ne pas être assigné aux travaux agricoles comme le reste de ses frères du fait de son jeune âge. On l’envoyait plus volontiers faire la cueillette de racines et de fruits dans la forêt voisine, ce qui ne manqua pas de lui attirer les bonnes grâces de ses frères et sœurs lorsqu’il ramenait des paniers entiers de fraises des bois ou de mûres. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes pour notre jeune garçon.


L'incident

Mais à mesure qu’il grandissait, ses frères virent d’un moins bon œil qu’il continue de passer ses journées à parcourir les bois, panier à la main et chantonnant, tandis qu’eux se tuaient à la tâche pour que la famille ne manque de rien. Autrefois chouchouté par ses aînés, Shadiz devint peu à peu leur souffre douleur au quotidien. D’abord victime de leurs railleries, ils poussaient parfois leur vengeance jusqu’à lui infliger quelques humiliations. Un jour, alors que l’heure du souper allait sonner, il le déshabillèrent dans le bois qui bordait la ferme et subtilisèrent ses vêtements. Pudique de nature, le jeune garçon n’osait rentrer à la ferme dans cette tenue d’Adam. La nuit tombait et personne ne vint à lui, pas même sa mère qui pourtant lui portait une affection toute particulière. Sommeillant comme il le pouvait en grelottant dans le froid, Shadiz se réveilla au petit matin et se décida, une main devant, une main derrière, à regagner le chemin de la ferme. Arrivé à la lisière du bois, il aperçut la chaumière familiale dénuée de son toit, tandis qu’une épaisse fumée s’échappait de la porte d’entrée. Inquiet, il s’approcha prudemment tandis qu’une odeur de chair calcinée lui montait au nez. Un triste spectacle s’offrit à lui lorsqu’il franchit le pas de la porte : les corps éventrés de sa mère et de ses frères et sœurs étaient là, éparpillés, tandis que la tête de son père trônait sur la clôture qu'on pouvait apercevoir par la fenêtre.



Affolé, le jeune garçon tourna les talons et coura en direction du village pour y trouver secours, cachant toujours tant bien que mal sa nudité.


La rencontre

Il constata bien vite que beaucoup de maisons avaient subi les mêmes outrages que la sienne et ne vit pas âme qui vive. Des bras, des pieds et des têtes jonchaient le sol des rues. Shadiz s’assit sur l’une d’elles, posa ses coudes sur ses genoux et son menton dans le creux de ses mains. Après avoir laissé échapper quelques larmes, il se mit à réfléchir. A présent seul au monde, il devait maintenant partir d’ici au plus vite, sans quoi il subirait le même sort que tous ces pauvres villageois. Persuadé d’être seul, il cessa de marcher main devant main derrière et s’aventura dans les rues du village, toujours nu comme un ver. Lorsqu’une voix le fit sursauter.

- « Hey toi ! Saloupiot ! Ta mère t’a appris jamais qui fallait pas t’prom’ner la stouquette à l’air comm’ça ? Dis ! Oh ! »

Alors que la voix s’effaçait doucement pour laisser place à un rot guttural, le jeune garçon reconnut tout de suite Maurice, solide gaillard à la face rougie et aux yeux vitreux. L’homme était célèbre dans la région car champion de descente de chopine. Il était aussi une figure incontournable de la taverne, dont le comptoir se serait sans doute écroulé s’il n’avait pas passé ses journées à le soutenir. Même à plusieurs mètres, on décelait la présence du sieur Maurice, tant l’air se chargeait d’effluves alcoolisées à son approche.



- « Bah c’est que… C’est pas moi…C’est mes frères et toussa… » répondit Shadiz, à la fois rassuré par la présence d’un survivant et intimidé.

Maurice marmonna un « Mouais… » en se grattant la tête, et laissa échapper un nouveau rot d’un air pensif. Jetant un regard aux alentours, il paraissait visiblement surpris par ce macabre décor et lança à l’enfant qui lui faisait face :

- « Mais qu’esse ce c’est c’bordel ?... »

Shadiz le regarda, l’air dubitatif en haussant les épaules. Non content de cette réponse, l’homme tituba dans la rue en direction d’un cadavre percé de plusieurs flèches. Trois pas suffirent à le déséquilibrer, il tomba lourdement au sol dans un gémissement. Après quoi il se mit à ramper, pensant à juste titre que vu son état d’ébriété cela rendrait son déplacement moins pénible. Se hissant jusqu’au corps, il le parcourut du regard et en retira une flèche qu’il examina.

- « Humpf… Encore un coup de ces foutus orcs… » maugréa-t-il, avant de se tourner vers le jeune garçon en ajoutant :
- « T’sais quoi gamin ? Bah tu vas commencer par m’aider à m’lever… »

Du haut de ses huit ans et plutôt frêle, notre jeune garçon assista tant bien que mal le bon Maurice à se hisser sur un banc que les orcs avaient miraculeusement épargné pour que ce dernier reprenne un peu ses esprits. Quelques heures plus tard, ce fut chose faite, il avait retrouvé un semblant de sobriété. Il regarda le petit Shadiz et lui dit :

- « On va commencer par t’trouver un truc à t’mettre sur l’dos. Si on t’voit gambader cul nu dans les rues, ça va nous attirer des ennuis. Pis ensuite, on va pas moisir dans l’coin. Les pourris qu’ont fait ça doivent pas êt’loin… »

Sitôt dit, sitôt fait. Sous l’apparence d’alcoolique que tout le monde lui connaissait, Maurice était plein de ressources. Et une fois complètement désaoûlé, ils quittèrent avec Shadiz la petite bourgade pour ne jamais y revenir. Maintenant seuls au monde, notre pilier de comptoir décida de prendre l’enfant sous son aile.


L'aventure

« Pauvre enfant ! » pourraient dire certains. Et bien non. Car avant de dépenser son maigre salaire à la taverne, Maurice avait été soldat sous les ordres du grand Syrion, célèbre chef de guerre. Mais la vie ne l’ayant pas épargné, il avait fini comme beaucoup de ces héros de l’ombre : oublié du peuple et harcelé par de noires pensées tant ce qu’il avait vu sur les champs de bataille l’avait marqué. Ce que l’avait amené à devenir un modeste bûcheron et à forcer sur la bouteille dès que l’occasion se présentait. Le récent massacre l’avait pourtant sorti de sa torpeur et une nouvelle vie démarrait pour lui.

Formant le jeune Shadiz aux maniements des armes et de la chope de cervoise, ainsi qu'à la survie en milieu rural au cours des années qui suivirent, ils parcoururent tous deux les routes pendant plus d’une décennie. Tentant de survivre aux hordes d’orcs et de morts vivants qui leur tendaient maintes embuscades.




Le retour aux sources

Mais un soir, alors que le vieux Maurice -qui approchait alors de la soixantaine- avait une nouvelle fois abusé de la boisson, il glissa sur une déjection d’ours et se rompit le cou. Sans doute aurait-il préféré une mort plus noble, sur un champ de bataille par exemple. Mais le destin en avait décidé autrement. Désormais seul, Shadiz savait qu’il ne pourrait faire face longtemps aux dangers multiples qui se présentaient à lui chaque jour. C’est la raison pour laquelle, il décida de rejoindre les forces humaines qui s’étaient regroupées pour résister aux invasions des autres races. Son naturel solitaire le desservit à ses débuts. Mais peu à peu, participant aux combats sur divers fronts, armé de son slip de cuir et de sa vieille hallebarde, il fit la connaissance de personnes pour qui il éprouva une certaine affection.



Un barbare répondant au doux nom de Musclor était fort sympathique, comme les autres membres de l’escouade dont il faisait partie : les Briscards. Il y avait aussi Firoza, une invocatrice fort courtisée par la gente masculine, qui avait rassemblé nombre d'humains dans la résistance notamment à travers son escouade des Divine Warriors. Elle avait d'ailleurs proposé à Shadiz de la rejoindre. Mais ce dernier, indépendant par nature, était plutôt réticent de prime abord. L'escouade lui avait cependant gracieusement porté assistance en lui prêtant les fonds nécessaires à l'achat d'une armure. Peut-être était-ce là une habile façon de lui faire remarquer que sa tenue vestimentaire effrayait quelque peu. Ce fut Paseur, un négociant dur en affaire, qui marchanda avec le forgeron et avança la somme d'argent à notre ami. C'est lors de cette transaction que Shadiz fit la connaissance d'Elisoe, une autre membre influente de l'escouade. Comme lui, elle retournait sur le front mort-vivant à cette époque et ils décidèrent de faire route ensemble. Il l'apprécia dès qu'il la vît, non que son épaisse armure la rendait plus attirante qu'une autre, bien au contraire, mais elle dégageait une profonde douceur, malgré la tristesse qui semblait l'habiter. Une fois aux prises avec les armées mort-vivantes, il découvrit en elle une valeureuse guerrière et eut un plaisir tout particulier de combattre à ses côtés. Ce savant mélange de droiture, d'honneur et de beauté qui décrivait Elisoe lui rappelait les Walkyries des contes de son enfance.



Après une semaine passée sur le front en cette charmante compagnie, comme pour ne jamais en être séparé, il accepta la proposition de Firoza.